Chaque année, les infections résistantes aux médicaments tuent plus de 50 000 personnes en Europe et aux États-Unis et des centaines de milliers d’autres dans le monde. Selon la Review on Antimicrobial Resistance (étude sur la résistance aux antimicrobiens) commandée par le Premier ministre britannique, si l’on ne s’attaque pas au problème croissant des infections résistantes, elles pourraient provoquer 10 millions de morts par an, pour un coût atteignant 100 000 milliards de dollars en 2050.
Aujourd’hui, des chercheurs de la Faculté de médecine dentaire de l’Université hébraïque proposent de s’attaquer aux bactéries nocives qui infectent les humains, en les infectant elles-mêmes avec de minuscules virus appelés bactériophages. Par un étrange retournement de situation, un de ces virus, cultivé à partir des eaux résiduaires de Jérusalem, pourrait aider à prévenir les infections consécutives aux interventions dentaires.
Il y a seulement quelques décennies, les antibiotiques étaient vus comme des médicaments miracles. Paradoxalement, c’est parce qu’ils étaient si efficaces qu’on les a utilisés trop souvent, ce qui a fait émerger des bactéries résistantes. Ces agents pathogènes impossibles à traiter ont développé des mutations qui leur permettent de résister aux antibiotiques que les médecins prescrivent pour les combattre.
L’une de ces bactéries, Enterococcus faecalis, vit dans le tube digestif des humains. Ce germe très dangereux provoque des maladies allant de l’endocardite (infection cardiaque potentiellement mortelle) à la bactériémie (présence de bactéries nocives dans la circulation sanguine), en passant par des infections urinaires, des méningites et des infections du canal radiculaire post-interventionnelles.
Ce taux d’infection est frustrant car il traduit les limites des solutions thérapeutiques actuelles. Il est donc essentiel de développer d’autres manières de cibler les bactéries fortement virulentes telles que E. faecalis, notamment sous forme de biofilm.
La thérapie par bactériophages est une démarche prometteuse différente des antibiotiques traditionnels. Les bactériophages, ou « phages » sont des virus qui infectent les bactéries. Ils jouent un rôle crucial en préservant l’équilibre naturel de leur relation de prédation avec les bactéries. Ils ont co-évolué avec leurs hôtes bactériens pour devenir des « tueurs professionnels de bactéries » extrêmement spécifiques et efficaces.
Aujourd’hui, une équipe de chercheurs — menée par le Dr Ronen Hazan de l’Institut des sciences dentaires à l’Université hébraïque et le Dr Nurit Beyth de l’Université hébraïque–École Hadassah de médecine dentaire, avec le concours de leurs collaborateurs et étudiants, le Dr Shunit Glaser, Leron Khalifa, Daniel Gelman et Yair Brosh – a identifié une façon d’utiliser la phagothérapie pour cibler les biofilms à E. faecalis.
Les chercheurs ont isolé un phage anti-E. faecalis dans les effluents d’eaux usées d’une station d’épuration de Jérusalem. Le phage, appelé EFDG1, est capable d’infecter la souche V583 d’E. faecalis, qui est résistante à la vancomycine, l’antibiotique le plus efficace contre E. faecalis.
En outre, les chercheurs ont démontré que EFDG1 était fortement efficace contre les infections du canal radiculaire, sur des échantillons de tissus in vitro et ex vivo. Ces résultats indiquent que la phagothérapie utilisant EFDG1 pourrait être une façon efficace de prévenir les infections à E. faecalis consécutives aux traitements endodontiques.
Selon le Dr Ronen Hazan, « l’idée d’utiliser les phages comme antibactériens n’est pas nouvelle. La première proposition de phagothérapie remonte au début du 20e siècle, mais elle a été abandonnée pour diverses raisons, notamment le succès phénoménal des antibiotiques chimiques. Nous sommes maintenant à l’aube d’une nouvelle ère à cause des limites des antibiotiques synthétiques et de l’émergence de souches bactériennes résistantes aux antibiotiques. C’est donc le bon moment pour étudier de nouveau ce que nous offre Mère Nature dans la lutte contre les bactéries. Comme le démontrent ces recherches, les bactériophages pourraient être un outil efficace pour développer de nouveaux antimicrobiens bien nécessaires. »
Les recherches seront publiées dans l’édition d’avril 2015 d’Applied and Environmental Microbiology Journal sous le titre « Targeting Enterococcus faecalis biofilm using phage therapy »
Ces recherches ont été soutenues par une bourse de démarrage de l’Université hébraïque / Yissum.