Des scientifiques de l’Université de Jérusalem ont branché des dispositifs de substitution sensorielle (SSD) sur le cortex visuel de personnes aveugles de naissance et leur ont ainsi permis de « voir » et même de décrire des objets.
Les SSD sont des aides sensorielles non-invasives qui fournissent des informations visuelles à un aveugle en utilisant ses sens existants. Dans un cadre clinique ou au quotidien, les porteurs d’une SSD visuelle-auditive portent une caméra vidéo miniature reliée à un petit ordinateur (ou à téléphone intelligent) et un casque stéréo. Les images sont converties par un algorithme en «paysages sonores» permettant à l’utilisateur d’écouter et d’interpréter en informations visuelles ce qui provient de la caméra.
Il est remarquable de constater que les utilisateurs ayant eu une formation spécifique (mais relativement brève) dans le cadre d’un protocole de recherche du laboratoire du Docteur Amir Amedi (Edmond et Lily Safra Center for Brain Sciences et de l’Institut de recherche Médicale Israël-Canada à l’Université de Jérusalem) sont capables d’utiliser des SSD pour identifier des objets complexes du quotidien, localiser des personnes et leurs postures, et lire des lettres et des mots. En plus des opportunités cliniques offertes par les SSD, leur utilisation conjointe à celle de l’imagerie par résonance magnétique ouvre une opportunité unique d’étudier l’organisation du cortex visuel d’individus aveugles de naissance.
Les résultats de l’étude menée dans le laboratoire d’Amir Amedi, publiés récemment dans la revue Cerebral Cortex, sont surprenants. Non seulement les sons, qui représentent la vision, peuvent activer le cortex visuel de personnes qui n’ont jamais vu auparavant, mais aussi ils le font d’une manière organisée conforme à l’organisation à grande échelle et à la différentiation du traitement visuel en deux voies.
En effet, depuis trois décennies, il est reconnu que le traitement visuel utilise deux voies parallèles. La voie ventrale occipito-temporale ou « voie ventrale » du « quoi » est liée au traitement visuel de la forme, de l’identité des objets et des couleurs. La voie dorsale occipito-pariétale ou «voie dorsale» du « où / comment », analyse les informations visio-spatiales sur l’emplacement de l’objet et contribue à la planification visio-motrice. Bien que le traitement dissocié en deux voies soit complètement validé, le rôle de l’expérience visuelle dans l’élaboration de cette architecture fonctionnelle du cerveau n’était pas encore éclairci. Est-ce que ce principe d’organisation à grande échelle dépend de l’expérience visuelle fondamentale restait une question.
En utilisant la substitution sensorielle, les scientifiques de l’Université de Jérusalem, dirigés par le Docteur Amedi et son doctorant Ella Striem-Amit, ont constaté que, dans le cortex visuel des aveugles, le traitement des sons véhiculant une information visuelle pertinente se fait avec une spécialisation dorsale / ventrale semblable à celle des voyants ; par exemple, lorsqu’une personne aveugle est invitée à identifier l’emplacement ou la forme d’une «image SSD », elles active respectivement une zone de la voie dorsale ou une zone de la voie ventrale. Cela démontre que cette organisation en deux voies du système visuel peut se développer, au moins dans une certaine mesure, sans expérience visuelle, suggérant que cette spécialisation n’est pas du tout de nature visuelle.
Des recherches récentes du laboratoire d’Amedi et d’autres groupes de recherche ont démontré que plusieurs zones du cerveau ne sont pas spécifiques à l’information d’entrée (vision, audition ou le toucher), mais plutôt à la tâche ou au calcul qu’elles accomplissent et qui peut se réaliser avec diverses modalités.
L’extension de ces résultats à la division à grande échelle travail du système visuel apporte une information cruciale pour postuler que le cerveau, dans son ensemble, pourrait être spécifique à la tâche plutôt que dépendant d’une entrée sensorielle spécifique. « Le cerveau n’est pas une machine sensorielle, même s’il le paraît souvent, c’est une machine organisée par tâche », résume Amedi.
Ces résultats suggèrent que, même dans le cas d’une cécité permanente, le cerveau d’une personne aveugle peut potentiellement être « réveillé » au traitement visuel par la réadaptation visuelle en utilisant des avancées médicales comme les prothèses rétiniennes, disent les chercheurs. Un résumé de ces idées a été publié récemment dans Current Opinion in Neurology par Lior Reich et Shachar Maidenbaum, tous deux chercheurs au laboratoire du Docteur Amir Amedi.